(extrait, pages 37-38)
"Lorsque, émissaire de la Cinémathèque suisse encore naissante, je me rendais assez régulièrement à Paris, je quittais mon bureau de la Place de la Cathédrale pour aller prendre le train avec, sur mon carnet de notes, des heures et des lieux de rendez-vous utiles à mon voyage. Mais, avec Michel Mitrani ainsi qu'avec la Cinémathèque française et mes amis les meilleurs, je laissais au hasard, même sans un coup de fil préalable, le soin d'une rencontre, ou non. Naturellement, depuis 1945, j'habitais le sixième arrondissement et l'occasion, en ce qui le concernait, accomplissait le reste, ainsi que des indications factuelles disséminées récoltées à la sauvette chez Losfeld, plus tard à sa boutique de la Rue de Verneuil, ou près de Roger Cornaille et Michel Laclos au Minotaure de la Rue des Beaux-Arts : le croisement imprévu-prévu se produisait entre la Rue Mazarine et le Boulevard Saint-Germain pour se terminer sur la terrasse du Flore en face d'Albert Cossery.
De cet écrivain, natif du Caire en 1913, locataire d'une chambre à l'Hôtel de la Louisiane depuis la fin de la guerre (mais il connaissait la France et parlait sa langue depuis son enfance), Michel estimait la pensée et pouvait la décortiquer allègrement. Il en émit finement la personnalité dans le film inédit de Jean Labib : Entre la violence et la dérision. Cossery sort de son hôtel, marche devant les étalages des marchands des quatre-saisons et s'assied à la table du Flore. Mitrani parle de cet aristocrate, dandy nonchalant, dont les livres sont écrits en français ; ce fut, en effet, une autre langue maternelle de celui qui pouvait aussi bien s'exprimer en arabe."
Freddy Buache