(extrait, page 7)
"Avant-propos.
Cinquième long métrage d'Alain Tanner après Charles mort ou vif (1969), La Salamandre (1971), Le Retour d'Afrique (1973) et Le milieu du monde (1974), Jonas qui aura 25 anes en l'an 2000 (1976) marque l'aboutissement d'une première étape de la création du cinéaste qui, lui-même, au cours de l'entretien que nous rapportons, y reconnaît la synthèse de ses autres films.
Après avoir lutté longtemps pour briser l'image fallacieuse de son pays que les écrans des salles obscures proposaient à des spectateurs blasés depuis longtemps, Alain Tanner profita des imperceptibles fissures qui, au lendemain de Mai 68, paraissaient lézarder l'antique muraille de silence entourant un peuple sûr d'être heureux pour avoir substitué, de manière inconsciente, à l'égoïsme l'utile notion politique de 'neutralité'. Le cinéaste, alors, choisit l'humour pour tenter de donner des yeux et une voix à ses concitoyens qu'il appelait à se regarder et à s'écouter autrement qu'avec leur habituelle autosatisfaction rassurante, qu'il appelait à reconsidérer leur condition, leur histoire, leur avenir.
Simultanément, se posèrent à lui toutes les questions relatives à la mise en scène puisqu'il désirait ne pas briser le langage de façon radicale (jusqu'à ne le rendre compréhensible que par les intellectuels déjà convaincus) et ne pas l'exploiter à des fins de spectacle jusqu'à le vider totalement de son initial sens critique. Se méfiant donc autant des abstractions du purisme élitaire que du social-réalisme vite démagogique ou sentimentalement pittoresque, il est reparti des leçons de Godard, de Straub, de Brecht et il s'est appuyé sur la réflexion de John Berger, afin d'inventer sa propre postulation dont il précise le caractère double en ne dissociant jamais, de l'élaboration du script à la finition du montage, ces deux interrogations auxquelles chacune des plus minuscules parcelles de ses films constituent un élément de réponse : le 'Quoi dire?' et le 'Comment dire?'. D'où sa pratique et sa théorisation du plan-séquence comme système de distanciation capable de tirer du flux narratif traditionnel une énergie différente, à la façon d'une roue captant pour le moulin une part du courant de la rivière.
Jonas, donc, marque un tournant."
Freddy Buache